Aller au contenu principal

Camille Peugny : Comprendre le fonctionnement des sociétés grâce à la sociologie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 03 décembre 2021 , mis à jour le 09 décembre 2021

Camille Peugny est professeur de sociologie et chercheur au laboratoire Professions, institutions, temporalité (PRINTEMPS – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, CNRS). Passionné par les sujets liés à la mobilité sociale et aux inégalités, il participe activement, et de multiples façons, à promouvoir et à faire progresser ce volet des sciences sociales. 

Dès le lycée, Camille Peugny se passionne pour les questions d’actualité et les problématiques économiques et sociales.  Après le baccalauréat, il effectue deux années de classe préparatoire en lettres et sciences sociales (khâgne et hypokhâgne) à Lille. Cela confirme son goût pour ce domaine, et il poursuit son cursus à l’Université de Lille où il obtient une double licence et maîtrise en sociologie et en économie. Il réalise ensuite un DEA (master) à Sciences Po Paris, où il réalise sa thèse grâce à un financement du centre de recherche en économie et en statistiques (CREST) de l’INSEE, qu’il soutient en 2007. Son sujet « La mobilité sociale descendante, l’épreuve du déclassement » - qui est publiée en 2009 aux éditions Grasset - aborde le thème du déclassement social intergénérationnel. « À l’époque, on avait beaucoup étudié l’épreuve de la promotion sociale, mais beaucoup moins celle du déclassement. » Cette intuition s’avère juste, car elle lui vaut un poste à la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une direction de l'administration publique centrale française, qui dépend du ministère du Travail. Il y est en charge d’enquêtes statistiques sur les conditions de travail. En 2009, il rejoint l’Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis en tant que chercheur et maître de conférences en sociologie. Puis, il obtient son habilitation à diriger des travaux de recherche en 2016, qui porte sur les transformations des classes populaires en France et en Europe. Il est ensuite reçu en tant que professeur des universités à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) en 2018, et poursuit ses travaux de recherche au laboratoire PRINTEMPS

 

Mobilités sociales, inégalités, politiques publiques

Le sujet de la mobilité sociale est étroitement corrélé à celui des inégalités, et Camille Peugny s’intéresse à en comprendre les raisons. Pour ce faire, il questionne les politiques éducatives et celles dédiées à la jeunesse que pratiquent divers pays européens. « Grâce à ces recherches, je pénètre au cœur des boîtes noires du fonctionnement des sociétés. » Le chercheur montre que depuis une trentaine d’années, la mobilité sociale a cessé de progresser en France. « Pour une société qui aime à se dire méritocratique, cela doit nous interroger. »

Dans ce périmètre, il s’attèle à deux thématiques principales de recherche. La première est celle de la stratification sociale et la manière dont les inégalités font évoluer et fracturent les sociétés contemporaines. « J’ai par exemple travaillé sur la polarisation de l’emploi en Europe depuis le début des années 1990, où on observe un mouvement croissant de polarisation sociale. » La deuxième concerne l’étude des politiques publiques en direction de la jeunesse en Europe. « En se comparant à d’autres sociétés européennes, nous pouvons mieux singulariser et déconstruire les choix politiques faits en France que l’on considère souvent comme évidents. » Certains pays européens considèrent différemment l’âge de la vie qu’est la jeunesse, et le manifestent par des politiques spécifiques en matière éducative, de deuxième chance, d’emploi et d’aides. Ces dernières ont un impact direct sur la reproduction des inégalités entre générations et la manière dont les jeunes se projettent dans l’avenir. À l’aune de ces observations, Camille Peugny conclut notamment que certain pays, comme ceux du Nord de l’Europe, favorisent plutôt la réussite de tous, alors que la France se révèle très élitiste. « En France, nous avons un système de formation professionnelle qui profite davantage à celles et ceux qui sont déjà diplômés. Typiquement, les cadres ont plus accès à la formation professionnelle pendant leur carrière que les ouvriers. On observe que notre système renforce les inégalités plutôt qu’elle ne les atténue. »

 

Les conditions d’emploi et de travail des femmes de ménage

Ces inégalités, Camille Peugny les étudie aussi de manière très concrète. Il réalise depuis 2015 une enquête de terrain auprès des femmes de ménage qui travaillent pour des grandes entreprises de nettoyage et interviennent aux domiciles de particuliers. Il s’intéresse à leurs conditions d’emploi et de travail, à leur rémunération et à leurs perspectives de carrière. Ces travaux s’inscrivent dans un corpus d’études qui démontrent que la France connaît un mouvement important de retour des inégalités de revenus, de patrimoine, d’éducation et de mobilité sociale. « Le pays a été préservé de la vague qui a touché l’Europe dans les années 1980, mais ce n’est plus le cas depuis une dizaine d’années. » En cause, la précarisation dans le bas de la hiérarchie des emplois et une explosion des hauts revenus au début des années 2000, directement liés à des choix en matière de politique économique et fiscale. 

 

Des responsabilités scientifiques 

Camille Peugny est co-rédacteur en chef de la revue scientifique pluridisciplinaire « Travail et emploi » éditée par la Dares, qui diffuse des articles de recherche empirique en sociologie et en économie. Dans les derniers numéros, on y trouve des études sur la pénibilité du travail à l’hôpital, sur le secteur de la logistique ou encore sur la Garantie jeunes (un dispositif d’accompagnement et de financement de jeunes mis en place depuis 2013). 

 

Des préconisations en matière de politiques publiques

Sur la base des résultats de ses travaux, Camille Peugny se rend disponible pour répondre aux différents acteurs qui le sollicitent. Il s’agit d’associations, du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Mais aussi du gouvernement, comme lorsqu’en 2009, la secrétaire d’État à la prospective Nathalie Kosciusko-Morizet commande le rapport « Déclassement social » au centre d’analyses stratégiques, et propose au chercheur d’en débattre avec elle. 

Camille Peugny soumet aussi à la discussion ses préconisations en matière de politique publique via la publication d’essais. En 2013, il publie Le destin au berceau, inégalités et reproductions sociales, aux éditions du Seuil. Et en janvier 2022, doit y paraître Pour une politique de la jeunesse.

 

La direction de la Graduate School sociologie et science politique de l’Université Paris-Saclay

Le chercheur prend la direction de la Graduate School sociologie et science politique de l’Université Paris-Saclay à sa création en 2020. La nouvelle structure compte quatre mentions de master, 27 masters 2, 120 doctorants et une centaine d’enseignants-chercheurs issus de l’Université et de cinq de ses établissements-composantes (Université d’Évry, UVSQ, École normale supérieure Paris-Saclay, AgroParisTech). « Cette mission est assez enthousiasmante et m’absorbe beaucoup car tout reste à bâtir : le périmètre, les thématiques de recherche communes, les projets fédérateurs et la coordination de tous les acteurs du projet. » L’objectif est de rassembler les forces pour faire de l’Université un pôle de référence européen en sciences sociales. Il se structure autour de quatre axes de recherche : l’environnement, les territoires et la transition écologique ; l’emploi, le travail et la profession ; les politiques publiques ; l’analyse de données.  L’accent est aussi mis sur le dialogue des sciences sociales avec les autres sciences.