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Décrypter les mouvements cellulaires : les secrets des réseaux d’actine

Recherche Article publié le 30 juin 2021 , mis à jour le 30 juin 2021

Parfois, tout un pan de connaissance se dissimule dans un territoire inattendu. C’est le cas des études de biophysique réalisées dans le cadre du projet MicMactin par l’équipe de Martin Lenz, du Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (LPTMS – Université Paris-Saclay, CNRS), dont les résultats viennent améliorer la compréhension des phénomènes de contraction cellulaire. Une simple interrogation statistique initiale lui a permis de mettre en lumière un phénomène d’émergence aux multiples implications.

Dans le groupe de recherche Soft biophysics (biophysique et matière molle) au LPTMS, Martin Lenz et son équipe s’attellent à analyser les bases des mouvements du vivant. Les cellules du corps humain ne sont pas immobiles. Elles s’étirent, se contractent, se déforment et certaines se déplacent même à l’intérieur de l’organisme par leurs propres moyens. Ces animations cellulaires sont essentielles au bon fonctionnement de l’organisme. La contraction conjointe des cellules organise les mouvements musculaires et, à plus petite échelle, la migration d’une cellule immunitaire est cruciale pour la prise en charge d’un site infecté. Les mécanismes de ces mouvements cellulaires sont connus et acceptés par la communauté scientifique depuis plusieurs dizaines d’années. Toutefois, dans le cadre de ses travaux, Martin Lenz y décèle un détail susceptible de tout remettre en question. 

Un mystère caché dans nos cellules

D’après les connaissances scientifiques actuelles, les mouvements autonomes d’une cellule sont déterminés par son cytosquelette, et plus précisément l’actine. Ce cytosquelette fonctionne comme un échafaudage microscopique composé de poutres et de cordes microscopiques dispersées dans la cellule.

Les filaments d’actine présentent la propriété de ne pas être symétriques et ce paramètre influence le fonctionnement du moteur moléculaire à l’origine des mouvements cellulaires : la myosine. En fonction de sa façon d’attraper les filaments d’actine, la myosine soit les rapproche, soit les éloigne (voir figure). Dans une cellule de muscle strié, l’actine est organisée en faisceau et la myosine ne peut que rapprocher ces filaments lors de la contraction. Mais dans les autres cellules, l’actine est désorganisée. Dans ce cas, on s’attend à ce que statistiquement les filaments se contractent dans 50 % des cas et s’étendent dans les 50 % restant. 

Toutefois, expérimentalement, on n’observe que la contraction. Pourquoi le comportement microscopique de l’actine n’est-il pas reflété dans les résultats macroscopiques obtenus ? Ce questionnement amène Martin Lenz à poser les bases du projet MicMactin, pour lequel il décroche une bourse ERC Starting Grant en 2015.

En fonction de la disposition des filaments d’actine, le moteur moléculaire (myosine, en orange) induit soit une extension ou une contraction.
Soumis à une compression, un filament d’actine « flambe » sous forme de boucle. Ces flambages sont visualisables au sein d’un faisceau d’actine. © Lenz et al., arXiv (2012)

La solution par le flambage

Pour décrypter le comportement mystérieux de l’actine, le chercheur repose les bases du problème en envisageant les interactions entre plusieurs filaments d’actine. Il suppose que les filaments d’actine sont semblables à de minuscules cordes et non pas à des poutres. Une corde ne se comporte pas de la même façon selon que l’on tire dessus ou qu’on la pousse. Cela se passe comme dans le jeu du tir à la corde. Si les joueurs disposaient d’une poutre, il serait possible que chacun la pousse vers l’autre pour voir qui serait le plus fort. En revanche, pour communiquer efficacement une force avec une corde, il faut tirer dessus. Si on la pousse, un phénomène de flambage intervient (voir figure) et l’effort fourni devient inutile. Cette différence entre extension et contraction entraine une brisure de symétrie.

En collaborant avec des scientifiques de l’Université de Chicago, Martin Lenz et son équipe assemblent un faisceau de filaments d’actine à leur moteur moléculaire, la myosine. Ils visualisent au microscope des petites boucles qui se forment lorsque des filaments d’actine sont poussés l’un vers l’autre. Leur hypothèse se confirme : l’actine se comporte comme une corde. Ces flambages expliqueraient pourquoi les forces de poussage microscopiques ne sont pas transmises au niveau macroscopique, contrairement à l’étirement.

Du faisceau au réseau

Ces premiers résultats obtenus sur des faisceaux d’actine bien rangés, l’équipe de MicMactin décide de placer un moteur moléculaire au sein d’un réseau d’actine plus désordonné. Alors que le comportement des filaments d’actine se montre prévisible aux alentours du moteur, c’est à plus grande échelle qu’un phénomène intrigant se produit dans ce réseau. Peu importe si le moteur effectue localement une contraction ou une extension, cela aboutit toujours à une contraction à grande échelle (voir figure). Quoi qu’il se passe au niveau microscopique, la contraction est inévitable à l’échelle macroscopique de la cellule. « On assiste à un phénomène que les physiciens aiment bien : l’émergence. Le comportement de la structure globale n’est pas explicable en étudiant simplement les propriétés individuelles des éléments qui la composent », résume Martin Lenz.

 

Remise en perspective

Dans les cellules des muscles striés, l’actine s’aménage en faisceau et l’organisation de la myosine ne laisse pas de place au hasard : il n’y a que des moteurs qui contractent. Dans certaines autres cellules où l’actine est désorganisée, la contraction proviendrait alors de ce phénomène d’émergence. « La principale fonction d’une cellule musculaire est de se contracter selon une direction donnée. Le coût de fabrication d’un faisceau organisé d’actine est alors rentabilisé par son efficacité. En revanche, quand certaines cellules se déplacent, elles assemblent et désassemblent leurs structures au cours de leur trajet. Dans ces cas-là, un système désorganisé avec un réseau d’actine représente une solution rapide et grossière adaptée à ce comportement dynamique », avance Martin Lenz pour expliquer les différents moyens de production d’une contraction mis en place par le vivant.

Aujourd’hui, le chercheur propose des protocoles expérimentaux afin de mieux appréhender l’importance des flambages dans la contraction émergente. Leur compréhension ouvre des champs de recherche qui dépassent celui de l’actine cellulaire, comme les processus de cicatrisation où plusieurs cellules se contractent de concert. Au-delà de la biologie, le flambage intervient également à l’extension chez certains matériaux. Ainsi, le sable « flambe à l’envers » et l’effort se perd à l’étirement quand les grains se séparent. Initialement spécifiques, les résultats obtenus au sein du projet MicMactin s’appliquent alors à des principes physiques beaucoup plus divers, aux perspectives inattendues.

Peu importe le comportement du moteur (flèches internes) dans un réseau d’actine, une contraction sera toujours observée aux bords de la cellule (flèches externes). © Ronceray et al., arXiv (2015)

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