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L’émergence de la gravité et les trous noirs

Recherche Article publié le 08 décembre 2021 , mis à jour le 08 décembre 2021

La tension entre la théorie de la relativité et la mécanique quantique met depuis longtemps les physiciens en échec. Depuis 2016, Monica Guică, de l’Institut de physique théorique (IPhT – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), développe de nouveaux outils théoriques dans le cadre de son projet Emergent-BH, qui bénéficie d’une bourse ERC Starting Grant. Ses théories rapprochent la communauté d’une description plus détaillée de l’émergence de la gravité dans notre espace-temps en manipulant des espaces théoriques et en regardant l’horizon des évènements des trous noirs.

La physique est déchirée entre d’une part, la théorie de la relativité, la gravité, la physique de l’infiniment grand, et d’autre part, la mécanique quantique, la physique de l’infiniment petit, des particules et de leurs interactions. La recherche d’une théorie unificatrice, capable de décrire l’interaction gravitationnelle à toute échelle, ce que l’on appelle la gravité quantique, constitue une quête des plus ardues en physique. Monica Guică, chercheuse à l’Institut de physique théorique (IPhT – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), s’intéresse à cette question dans le cadre du projet Emergent spacetime and maximally spinning black holes. Son idée est d’étudier l’origine quantique de la gravité en utilisant des trous noirs généraux, dans le but d’élargir les théories existantes à un espace-temps plus semblable au nôtre. 

 

Le paradoxe de l’information

Les trous noirs sont des objets de l’Univers fascinants dans l’imaginaire collectif. Ils représentent aussi un objet d’étude privilégié pour les physiciens théoriciens. Si leur existence est envisagée grâce à la loi universelle de la gravitation découverte par Isaac Newton (1687), ils sont formellement prédits par la théorie de la relativité générale élaborée au début du XXe siècle (1915) par Albert Einstein. 

Ils posent un problème théorique d’importance. À l’équilibre, ces objets sont unis, sans aspérités et sans désordre. Pourtant, le désordre est synonyme de ce que les physiciens appellent l’entropie et qui constitue de l’information. « Si l’on jette une tasse à café, un objet avec beaucoup de degrés de liberté, dans un trou noir, seule sa masse change. On perd toute l’information sur ce qui est tombé dedans, et cela pose un problème thermodynamique », explique Monica Guică. Car lors d’une transformation, l’entropie ne peut qu’augmenter, ce qu’avance la deuxième loi de la thermodynamique : « dans un système isolé, l'entropie ne peut pas décroître ».

C’est dans les années 1970 que le physicien israélo-mexicain Jacob Bekenstein associe une entropie aux trous noirs afin de rétablir ce second principe de la thermodynamique. Les travaux du physicien théoricien britannique Stephen Hawking, conjointement avec l’australien Brandon Carter et l’américain James M. Bardeen, viennent ensuite affiner la formulation de cette entropie. Elle dépend à la fois des constantes de Newton et de Planck, issues respectivement de la gravité et de la mécanique quantique, ce qui place les trous noirs au centre de la recherche d’une théorie unificatrice. 

Contrairement à un système habituel, cette entropie est proportionnelle à la surface et non au volume du trou noir. Ceci amène les physiciens et notamment le néerlandais Gerard 't Hooft à considérer la gravité comme holographique : l'ensemble de l'information contenue dans un trou noir est entièrement codé sur sa surface. Le principe est similaire à une séance de cinéma en 3D. Les lunettes transforment une image déformée et donnée en deux dimensions - une surface - en une expérience visuelle en trois dimensions - le volume. C’est cette dimension émergente dans l’espace qui serait à l’origine de la gravité quantique.

 

Des espaces-temps virtuels comme terrain de jeu

La théorie des cordes, où les particules élémentaires ne sont plus définies comme des points mais des cordes, confirme cette idée d’holographie. Cette théorie fournit de nombreux exemples d’espace-temps aux géométries et aux dimensions variables que les physiciens manipulent à leur guise. Elle donne la première représentation de l’émergence de la gravité quantique dans un espace dit ‘anti de Sitter’ (AdS) à partir d’un autre espace, à une dimension de moins et régi par une théorie non gravitationnelle, une théorie conforme des champs (Conformal Field Theory ou CFT). Dans ce cas, la CFT est l’image en deux dimensions et l’espace AdS constitue le volume dans lequel on retrouve, tel un hologramme, l’image 3D. Le passage de l’un à l’autre est complexe, mais possible grâce à diverses opérations de transformation fournies par une sorte de dictionnaire entre les observables physiques : c’est la correspondance AdS/CFT. 

La question initiale persiste toutefois, car l’espace AdS, bien que pratique en théorie, ne représente pas notre espace-temps. C’est là que Monica Guică entre en jeu : elle propose de poser un cadre théorique plus proche de notre espace-temps tout en prenant appui sur les outils de transformation déjà existants. Tout le défi réside dans le fait de trouver la théorie adéquate à la surface et qui permette de faire émerger la gravité dans le volume. 

 

La glace est brisée

La chercheuse oriente ses recherches vers l’horizon des évènements des trous noirs, là où la vitesse de libération, celle nécessaire à un objet pour échapper à l’attraction gravitationnelle, atteint la vitesse de la lumière. À cet endroit, la physique se simplifie. « Pour n’importe quel trou noir, de la théorie des cordes ou autre, c’est en ce point que la structure de l’espace-temps est universelle, précise la chercheuse. Cela nous plaît car on souhaite justement bâtir une théorie universelle. »

À l’horizon des évènements, l’espace-temps devient une déformation de l’AdS. Monica Guică s’inspire de la correspondance AdS/CFT pour y construire une correspondance similaire, entre l’AdS déformé et une théorie des champs équivalente à la CFT, non gravitationnelle et en moindre dimension, et obtenir une nouvelle correspondance holographique entre volume et surface. Pour poser ce nouveau cadre théorique, elle se crée un chemin calculatoire assez non-orthodoxe, en partant de la CFT de la correspondance AdS/CFT connue. Une démarche contre-intuitive en physique car habituellement c’est en partant de la physique à l’échelle microscopique, celle des molécules ou des très petits objets, et moyennant certains effets, que l’on obtient et comprend les comportements macroscopiques. « La physique aux grandes distances oublie ce qu’il s’est passé aux petites », résume Monica Guică.

Grâce à cette démarche inverse, la chercheuse parvient à formaliser un certain nombre d’outils et de transformations entre tous ces espaces. Étudier l’émergence de la gravité dans ces trous noirs généraux est aujourd’hui un peu plus simple. « Depuis presque 25 ans, les efforts étaient centrés vers la correspondance AdS/CFT ou quelques autres exemples très précis, raconte la chercheuse, mais maintenant nous avançons un peu plus vers le général et le concret, sachant que cette correspondance est la meilleure compréhension de la gravité quantique que l’on ait. La glace est brisée mais il reste beaucoup à faire. »  

 

Références :