Aller au contenu principal

Pierres semi-précieuses : les vestiges d’un savoir-faire préhistorique

Recherche Article publié le 10 mars 2021 , mis à jour le 10 mars 2021

Au cœur d’une actualité agitée, le Myanmar (Birmanie) est un pays d’Asie du Sud-Est dont l’histoire recèle encore bien des secrets. Mais grâce aux pierres semi-précieuses des ornements funéraires, les scientifiques parviennent à retracer les échanges économiques et sociaux qui ont émaillé cette région d’Asie durant la fin de la Préhistoire.

Seul pays d’Asie du Sud-Est à partager des frontières terrestres avec l’Inde et la Chine, le Myanmar (Birmanie) est un carrefour majeur d’échanges économiques et sociaux qui contribuent à la richesse culturelle du pays. Néanmoins, son histoire ancienne reste un grand mystère. Car bien qu’ils en relatent un chapitre important, les écrits laissés par les civilisations antérieures ne permettent pas de remonter au-delà du 1er siècle après J.-C. Seule l’archéologie est en mesure de décrire le Myanmar préhistorique. Encore largement inexplorés, les vestiges des anciennes civilisations birmanes consignent pourtant une page importante de l’écriture de l’histoire de l’Asie du Sud-Est. 

C’est pour creuser cette voie que les autorités birmanes et le CNRS établissent en 2001 une coopération scientifique et lancent la Mission archéologique française au Myanmar (MAFM), financée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Au travers de fouilles archéologiques, elle vise à décrypter les évolutions des populations birmanes depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs (3e millénaire avant J.-C.) jusqu’à la création des premiers États (1er millénaire après J.-C.). T. O. Pryce, chercheur associé au Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA) de l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (IRAMAT) et du laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l’énergie (NIMBE - Université Paris-Saclay, CEA, CNRS), la dirige depuis 2012.

Ornements funéraires, pierres semi-précieuses et échanges culturels

Avec son équipe, le chercheur s’intéresse aux pratiques funéraires des populations birmanes et aux vestiges qui leur sont associés. C’est plus particulièrement sur les parures semi-précieuses que ces spécialistes concentrent leur étude. Ces ornements funéraires déposés près des défunts dans leurs sépultures donnent accès de manière pérenne aux rites de la population locale.

Leur analyse révèle les techniques de fabrication utilisées, grâce auxquelles les scientifiques parviennent à inférer des pratiques culturelles. En les comparant aux régions alentours, ils déterminent les échanges économiques et sociaux qui sont à l’origine des changements des rites.

Souvent étudiées par les archéologues, ces parures semi-précieuses sont aussi des marqueurs historiques. C’est le cas de certains types de perles de cornaline, traditionnellement associés aux débuts des échanges économiques avec le Sud de l’Asie au commencement de l’Âge du Fer (5e siècle avant J-.C.) : leur façonnage fait appel à des compétences artisanales alors trouvées en Inde. Mais une récente expédition archéologique est venue changer la donne : elle a montré la présence de perles de cornaline dans des vestiges du centre du Myanmar datant du Néolithique (fin du 2nd millénaire avant J.-C), attestant d’un savoir-faire antérieur. 

Le secret des nécropoles au cœur du Myanmar

Sur ces sites de la région centrale du Myanmar, les membres de l’équipe ont extrait au total 489 perles de parures funéraires et y ont répertorié trois formes majoritaires : des rondelles, des cylindres et des ellipses tronquées. Les scientifiques ont déterminé que les rondelles et les cylindres, de couleur orange et rouge, ont été taillés dans une pierre dure (de la cornaline et du quartz), tandis que les ellipses tronquées, aux tons verts, gris ou noirs, l’ont été à partir d’une pierre molle (de la néphrite, du talc, de l’andésite). Ils ont ensuite mis en œuvre une étude technologique des parures (quelles sont les marques laissées à leur surface par les objets et la gestuelle employés) pour reconstituer la « chaîne opératoire » de leur fabrication : les artisans ont d’abord retiré le surplus de matériau nécessaire à une perle, puis lui ont donné la forme désirée, l’ont perforée et enfin lui ont apporté ses finitions (polissage, gravure).

En confrontant ces techniques de fabrication à celles connues pour la même époque, les scientifiques parviennent à remonter au groupe social qui l’utilise. « C’est une approche minutieuse et scientifique qui vise à classer les productions des ornements funéraires en fonction des compétences des artisans », précise T. O. Pryce. Toute modification du « mode opératoire » permet de suivre les échanges culturels et sociaux entre différentes populations. 

Une production locale birmane

L’étude mise en œuvre par l’équipe de T. O. Pryce montre que toutes les perles extraites ont été fabriquées sur un même site de production - Nyaung’gan - et que leur conception, qui a abouti à des formes simples, serait d’origine autochtone. « Il s’agit en fait d’une production régionale et la matière première est probablement locale », indique le chercheur.

Ce résultat révèle qu’à la fin du 2e millénaire/début du 1er millénaire avant J-.C., le centre du Myanmar ne procède pas encore à des échanges économiques avec le Sud de l’Asie. Il remet également en question les connaissances du savoir-faire birman préhistorique, puisque l’artisanat d’ornements funéraires sertis de perles de cornaline aux formes simples y est déjà maîtrisé. 

En somme bien plus complexe qu’il n’y paraît, la vie économique et sociale des populations régionales préhistoriques conserve une part de mystère. Afin de l’éclaircir, l’équipe de T. O. Pryce mène actuellement une étude sur les sites protohistoriques d’Halin, au sein de la cité de Pyu répertoriée à l’UNESCO. Là-bas, les ruines y conteront peut-être un nouveau chapitre de l’histoire birmane sur une période qui s’étend jusqu’au Néolithique.
 

Photographies des pierres (à gauche) et perles (à droite) en roche semi-précieuse : en haut une rondelle de cornaline et en bas une ellipse tronquée en néphrite. - © Mission archéologique française au Myanmar

 

Source :

Georjon, C., Kyaw, U. A. A., Win, D. T. T., Win, D. T. T., Pradier, B., Willis, A., Petchey, P., Iizuka, Y., Gonthier, E., Pelegrin, J., Bellina, B., Pryce, T. O. Late Neolithic to Early-Mid Bronze Age semi-precious stone bead production and consumption at Oakaie and Nyaung’gan in central-northern Myanmar. Archaeological Research in Asia, 25, 100240 (2021).