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Quand la lumière se fait brève mais intense

Recherche Article publié le 05 août 2021

(Cet article est issu de L'Édition n°16)

Avec les lasers femtosecondes, aux impulsions ultracourtes et à la puissance sans cesse repoussées, les scientifiques de l’Université Paris-Saclay éclairent les phénomènes et domaines d’application de ces dispositifs au rayonnement si particulier. 

Rares sont les inventions à la destinée aussi éclatante que celle du laser. Énoncé sur le principe dès 1917 par Albert Einstein, le premier dispositif à rayonnement amplifié, monochromatique et cohérent apparaît en 1960, grâce aux travaux du physicien américain Theodore Maiman. Depuis, le dispositif s’est largement popularisé et a connu bien des améliorations, devenant indispensable dans des domaines aussi variés que la médecine, les télécommunications, l’imagerie, le micro-usinage. De nouveaux types de lasers ont fait surface. Largeur spectrale d’émission, durée et cadence des impulsions, énergie, puissance et densité de puissance délivrées…, leurs caractéristiques ouvrent des perspectives inédites. 

En ligne de mire : la génération d’impulsions ultrabrèves à très haute intensité, compatibles avec de nouvelles applications et l’étude de phénomènes biologiques, physiques ou chimiques se déroulant à des échelles de temps extrêmement courtes, comme ceux explorés par les chercheurs et chercheuses de l’Université Paris-Saclay. Popularisés dès les années 90 par leur application en chirurgie ophtalmique, les lasers femtosecondes en constituent la tête de proue. Aujourd’hui, ils délivrent en routine des impulsions d’une dizaine à quelques centaines de femtosocecondes (fs, 10-15 s), d’une puissance atteignant le térawatt (TW, 1012 W) voire le pétawatt (PW, 1015 W). 

 

Une chaîne d’amplification laser des plus performantes 

Au sein du Laboratoire interactions, dynamiques et lasers (LIDYL – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), plusieurs lasers femtosecondes sont à la disposition des utilisateurs. Parmi eux, ceux de l’équipement d’excellence ATTOLAB produisent en routine des impulsions parfaitement contrôlées de 15 mJ, à haute cadence et d’une durée d’environ 23 fs. Une durée qui descend à 17 fs en optimisant les réglages. 

« La spécificité de la plateforme ATTOLAB Orme coordonnée par le LIDYL est de proposer une chaîne d’amplification laser (FAB 1-10) à double cadence (1 et 10 KHz) émettant dans l’infrarouge, et des sources secondaires attosecondes (as, 10-18 s) émettant dans le domaine extrême XUV », relate Jean-François Hergott de l’équipe Support et lasers à impulsions courtes (SLIC). FAB 1-10 est le résultat d’un travail initié il y a plus de dix ans avec la société Amplitudes Technologies dans le cadre du laboratoire commun Impulse. « Toute la chaîne d’amplification a été étudiée pour gagner en stabilité. L’environnement du laser a été amélioré et les locaux réhabilités. » L’équipe s’est notamment attachée à stabiliser la première étape de la chaîne grâce à une cavité régénérative plus performante et compatible avec de plus hautes cadences, causes de charges thermiques plus fortes. Additionné à un filtre acousto-optique réglable, l’ensemble améliore le rendement optique et délivre en sortie trois fois plus d’énergie qu’un schéma « classique ». Un autre développement a porté sur le contrôle précis de la position du champ d’oscillation dans l’enveloppe temporelle de l’impulsion amplifiée. 

Aujourd’hui, l’équipe continue de réduire la durée des impulsions. « On a mis au point un système de post-compression à haute énergie, une étape intermédiaire entre la sortie du laser et la génération d’un rayonnement XUV. Dans une fibre optique creuse étirée sous vide, on couple l’impulsion laser avec du gaz. On obtient, après interaction non linéaire, des impulsions de 3,9 fs et de 2,5 mJ. » En couplant ces impulsions aux stations XUV de la plateforme, l’équipe souhaite générer des impulsions attosecondes uniques, avec lesquelles étudier et contrôler les dynamiques électroniques dans la matière.

 

Observer des objets nanométriques aux temps attosecondes

Ce régime dit de champ fort est au coeur des recherches menées au LIDYL par Hamed Merdji et Willem Boutu. Motivés pas la compréhension de phénomènes ultrarapides à des échelles nanométriques, ils s’intéressent particulièrement à une nouvelle thématique : l’électronique pétahertz. « En électronique, les processeurs actuels fonctionnent à des fréquences de l’ordre du gigahertz (GHz, 106 Hz). Or le domaine pétahertz (PHz, 1015 Hz) permettrait de répondre à de nouvelles problématiques de calcul ou de stockage d’informations. Cela suppose de nouvelles méthodes pour suivre le mouvement des électrons dans les semi-conducteurs aux échelles nanométrique et attoseconde », souligne Hamed Merdji.

Les physiciens comptent notamment sur l’imagerie par diffraction cohérente (CDI), qui consiste à éclairer un objet avec une lumière cohérente pour recueillir la figure de diffraction générée et reconstruire, au moyen d’algorithmes d’inversion, la phase encodée sur l’hologramme, puis l’image de l’objet. « Le principe est similaire à ce qu’on observe avec la lumière du soleil lorsqu’elle passe à travers le trou d’une feuille d’arbre. Les rayons lumineux sont diffractés et se dirigent dans plusieurs directions en s’élargissant. Or l’angle qu’ils prennent véhicule des informations concernant la taille du trou. Plus le trou est petit, plus l’angle de diffraction est important. Avec une caméra, on enregistre l’image du passage de la lumière et en utilisant de la lumière cohérente, on encode la phase du rayonnement qui véhicule les informations spatiales de l’objet. » 

Dans les travaux réalisés, la CDI fait appel à un rayonnement cohérent XUV ou X ultracourt. « Si on veut observer des objets nanométriques, il faut des sources de rayonnement de longueur d’onde nanométrique. » Mais dans le cas d’impulsions attosecondes, le spectre de ces sources XUV, extrêmement large, brouille l’image de diffraction obtenue en CDI. « Chacune de ses longueurs d’onde produit une image de diffraction et toutes se superposent de manière incohérente. L’information encodée est alors perdue. » 

Pour les « désintriquer », l’équipe a développé un algorithme original qui utilise un système d’inversion basé sur des projections mathématiques du spectre. La fonction de « défloutage » obtenue produit une figure de diffraction moyenne analysable par les algorithmes de reconstruction CDI. L’équipe a validé sa méthode avec les rayons X cohérents de la ligne NANOSCOPIUM du synchrotron SOLEIL. « On a reconstruit expérimentalement le contenu spectral théorique d’une impulsion attoseconde. » Prochainement, elle prévoit d’appliquer l’outil mathématique à un système associant une source attoseconde réelle. 

 

Fonctionnaliser les matériaux transparents 

À l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (ICMMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS), l’équipe dirigée par Bertrand Poumellec et Matthieu Lancry promeut l’utilisation des lasers femtosecondes en tant qu’outil unique pour modifier en profondeur les matériaux transparents (verre, fibre optique, film, substrat massif ou vitreux, polymère, cristal) et y implémenter, quelles que soient leur forme et leur composition, toute une série de fonctions (micromécaniques, optiques, microfluidiques…). Une fois fonctionnalisés, les objets deviennent sensibles à l’environnement et sont utilisés en tant que capteurs de température, de pression, de déformation, de concentration… « Le laser vient réduire le nombre de méthodes de fabrication. Il évite les assemblages et les collages, minimise les erreurs et améliore la durée de vie des objets », explique Matthieu Lancry. 

« Toute matière, même transparente, est sensible à l’intensité lumineuse », rappelle le chercheur. Avec des impulsions de 0,1 μJ à quelques μJ et de l’ordre du TW/cm2, le rayonnement ne passe plus au travers du substrat mais est absorbé sur un volume de quelques μm3. Avec lui, la matière change localement de densité et d’indice de réfraction. « La lumière, c’est un peu comme une main qui, sans contact, parvient à sculpter la matière », analyse Bertrand Poumellec. 

Tout se joue à l’interface entre le faisceau lumineux et le plasma de matière créé. S’y produisent des transformations de phase, comme la formation de nanobulles (ou nanopores) d’une dizaine de nanomètres de diamètre, ou la création de nanoréseaux. Alors que les changements de densité sont peu stables thermiquement, les modifications d’indice de réfaction résistent à de très hautes températures. « Ça donne accès à des environnements extrêmes, tels que les centrales nucléaires de future génération, les moteurs d’avion, les lieux de forage de gaz… », détaille Matthieu Lancry. 

Contrôler la taille de toutes ces modifications s’avère primordial. « Par exemple, si les nanopores sont trop gros, le signal se diffuse à l’excès et est perdu. » Appréciés des composants optiques, les petits pores, qui entrainent moins de pertes optiques et de diffusion, sont aussi moins stables thermiquement. En jouant sur les paramètres laser, les chercheurs parviennent à ajuster leur taille. « On joue sur la vitesse d’écriture et le taux de répétition du laser pour accumuler plus ou moins de chaleur dans le matériau. » Tout l’enjeu est de mieux comprendre les mécanismes d’écriture et d’effacement, pour stabiliser les composants dans leurs futures conditions d’utilisation. « Il est important pour les industriels d’avoir des composants qui ne dérivent pas et restent fiables toute leur vie. » 

Ces dernières années, une nouvelle étape a été franchie grâce à un modèle développé au laboratoire, qui prédit la cinétique d’effacement des nanopores en fonction de leur taille et de la composition chimique du matériau. Une expertise qui place l’équipe de l’ICMMO en bonne position pour proposer de nouvelles « recettes » de matériaux et obtenir des capteurs encore plus stables thermiquement. Les compositions se concentrent sur des mélanges à 95 % d’oxyde de silice (SiO2) et 5 % d’oxyde de germanium (GeO2), de SiO2 et d’oxyde d’aluminium (Al2O3), ou de SiO2 et d’oxyde de zirconium (ZrO2). « On commence à voir un effet pour des mélanges à plus de 30 % d’Al2O3. » 

Pour l’heure, l’équipe finalise un modèle prédisant la formation des nanopores, et développe de nouvelles fibres optiques à partir de compositions vitreuses, semi-cristallines et vitrocéramiques, pour des régimes de température supérieurs à 1 500 °C.

 

Des ondes térahertz pour la spectroscopie à distance

Au Laboratoire matière sous conditions extrêmes (LMCE – Univ. Paris-Saclay, CEA), Luc Bergé, Laurent Gremillet et leurs collègues s’intéressent à la génération d’ondes électromagnétiques térahertz (THz) par laser femtoseconde. Au moyen de simulations numériques particulaires (PIC), l’équipe reproduit de façon spéculative les paramètres physiques d’expériences d’irradiation de cibles pour améliorer le rendement de conversion de l’impulsion laser en rayonnement THz, et obtenir la source THz la plus énergétique possible. Tout l’enjeu est de réussir à discriminer les différentes sources d’émission THz. 

À des intensités supérieures à 1014 W/cm2, les impulsions laser ionisent quasi instantanément les molécules de la cible irradiée, la transformant en plasma et induisant des courants électroniques de basse fréquence. Ces photocourants sont des sources d’émission THz d’autant plus efficaces que les oscillations du champ électrique laser utilisé sont asymétriques. Un objectif que les chercheurs atteignent en employant des impulsions laser à plusieurs couleurs. Quand l’intensité laser dépasse 1018 W/cm2, une fraction des électrons de la cible sont accélérés à des vitesses proches de la lumière et un nouveau régime d’interaction, relativiste, se met en place. Ces électrons sont à l’origine de nombreux processus radiatifs, dont le rayonnement cohérent de transition émis lorsque les électrons traversent l’interface entre la cible et le vide. 

Ces mécanismes d’accélération électronique et les processus d’émission THz associés dépendent de la nature de la cible. Si elle est transparente, comme un gaz de basse densité, le laser se propage en volume et l’accélération des électrons, jusqu’à des énergies de l’ordre du GeV, se produit de manière indirecte. « L’impulsion laser ionise le gaz et à l’arrière se développe une onde plasma dans laquelle les électrons sont accélérés. Lorsqu’ils s’échappent du plasma, on a un rayonnement à l’interface », explique Laurent Gremillet. Si la cible est solide, « le laser est réfléchi et tout se passe à la surface ». Les électrons atteignent des énergies moins élevées, de l’ordre de quelques MeV, mais leur nombre est plus important. Ces deux configurations conduisent néanmoins à un intense rayonnement de transition dans le domaine THz. 

Jusqu’à récemment, l’émission THz trouvait des applications en spectroscopie et dans la caractérisation de matériaux. Mais de nouveaux besoins émergent, en chimie sélective, tomographie ou médecine. D’autres apparaissent en spectroscopie éloignée. Le projet ALTESSE, démarré en 2015 en collaboration avec l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis et le Centre lasers intenses et applications, devait ainsi prouver la faisabilité d’une spectroscopie THz cohérente d’échantillons à distance. « Le pari était de réussir à contrôler la manière dont des lasers ultrabrefs à deux couleurs arrachent les électrons et à générer un rayonnement THz suffisamment intense pour atteindre le matériau à analyser à travers l’atmosphère, où les molécules d’eau absorbent ces ondes », détaille Luc Bergé. L’équipe est parvenue à collecter, en un seul tir laser, de nombreuses signatures spectrales à une distance de 15 m et à caractériser par spectroscopie une vingtaine d’échantillons en poudre (acides aminés, sucres, explosifs, médicaments).

La suite, ALTESSE 2, qui s’achèvera en 2023, s’intéresse au processus de filamentation laser femtoseconde, un phénomène optique non linéaire grâce auquel le faisceau laser, couplé à un canal plasma, se propage de façon autofocalisée sur une grande distance. L’équipe prévoit aussi d’étudier de nouveaux systèmes de détection et de proposer à l’Agence de l’innovation de défense (AID) un démonstrateur performant à base de verre pour détecter des explosifs à plus de 20 m. 

 

La photoinjection de nanoparticules

En collaboration avec des collègues du Nara Institute of Science and Technology (NAIST) au Japon, du laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM – Univ. Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CNRS) et de l’Institut Galien Paris-Saclay (IGPS – Univ. Paris-Saclay, CNRS), Rachel Méallet-Renault, de l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay (ISMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS), a mené des expériences de photoinjection de nanoparticules luminescentes – ornées d’un chromophore de la famille des BODIPY – dans des cellules végétales vivantes. Les scientifiques ont étudié les effets d’une impulsion laser femtoseconde de 20 nJ ciblée sur la membrane cellulaire. « Le laser femtoseconde engendre la photoporation : l’énergie déposée induit un échauffement local et une bulle de cavitation, qui déforme la membrane et fait entrer les nanoparticules dans la cellule. » 

Grâce à l’imagerie à fluorescence couplée à la vidéomicroscopie rapide, l’équipe a suivi en temps réel la pénétration puis la diffusion des nanoparticules dans les cellules. Une pénétration qui s’observe également lorsque l’irradiation laser cible une région proche de la cellule. Si un seuil bas d’intensité laser et une taille limite des nanoparticules sont nécessaires pour les faire entrer dans la cellule, l’équipe n’a pas observé d’effet d’un changement de la durée de l’impulsion sur la diffusion.

« On a remarqué que des nanoparticules se retrouvent également dans les cellules voisines de celle irradiée. Cela ouvre des perspectives dans les interactions cellule à cellule : en suivant le parcours des nanoparticules, on obtiendrait des informations sur la viscosité de la cellule et ses éventuels changements métaboliques. » La chercheuse envisage désormais de transposer la technique aux bactéries, « en remplacement de l’électroporation fréquemment utilisée mais très dommageable pour ces cellules en présence de nanoparticules ».

Alors, convaincus par l’éclat des lasers ?

 

Publications

  • A. Golinelli, et al. CEP-stabilized, sub-18 fs, 10 kHz and TW-class 1 kHz dual output Ti:Sa laser with wavelength tunability option. Opt. Express 27, (2019). 
  • Huijts, J., et al. Broadband coherent diffractive imaging. Nat. Photonics 14, (2020). 
  • Y. Wang, et al. Thermal stability of type ii modifications inscribed by femtosecond laser in a fiber drawn from a 3D printed preform. Appl. Sci. 11(2), 600, (2021). 
  • J. Déchard et al., Terahertz emission from submicron solid targets irradiated by ultraintense femtosecond laser pulses. Phys. Plasmas 27, 093105 (2020). 
  • T.I. Rukmana, et al. Direct observation of nanoparticle diffusion in cytoplasm of single plant cells realized by photoinjection with femtosecond laser amplifier. Appl. Phys. Express 13, (2020).