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Remonter le temps à l’archipel volcanique des Comores

Recherche Article publié le 04 novembre 2021 , mis à jour le 04 novembre 2021

Il n’y a pas qu’aux îles Canaries que l’activité volcanique est au centre de l’attention. Depuis 2018, un volcan sous-marin apparu au large de Mayotte, dans l’archipel des Comores (Océan Indien), fait l’objet d’une surveillance attentive par les scientifiques. L’activité sismo-volcanique de l’archipel et ses environs donne lieu à de nombreuses analyses, parmi lesquelles la datation des roches. Une équipe de chercheurs et de chercheuses du laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Université Paris-Saclay, CNRS), de l’Université de la Réunion et d’autres laboratoires internationaux a retracé l’activité volcanique de l’île d’Anjouan, située au centre de l’archipel. Leurs travaux démontrent l’existence d’une activité volcanique récente sur l’île et d’un volcanisme d’origine tectonique sur l’ensemble des Comores.

La datation des roches est une mesure rare et pourtant essentielle en volcanologie, comme l’explique Xavier Quidelleur, enseignant-chercheur au laboratoire GEOPS et spécialisé dans la chronologie des processus volcaniques : « La datation des roches permet de reconstruire l’histoire d’un volcan dans le passé, savoir quelles ont été ses phases d’activité, pour mieux comprendre comment il fonctionne et éventuellement ses réactivations ».

La datation se base sur la radioactivité issue de la désintégration spontanée de certains éléments contenus dans les roches en éléments radiogéniques. La plus connue, celle au carbone 14 (14C), donne un âge précis dans les derniers 50 000 ans, mais ne peut être utilisée que sur des roches contenant du carbone. Ce qui est peu le cas des roches volcaniques. « C’est une méthode de choix pour les dépôts de bois carbonisés présents dans certains dépôts volcaniques explosifs, mais pas pour les coulées de lave car le bois y est complètement consommé », clarifie Xavier Quidelleur, qui privilégie la datation Cassignol-Gillot par le potassium-argon (K-Ar). Cette méthode permet de dater les roches volcaniques en mesurant leurs concentrations en argon 40 (40Ar) radiogénique issu de la désintégration du potassium 40 (40K). Cela suppose que du potassium était présent dans les roches au moment de leur formation, qu’elles ne contenaient pas d'argon et que tout l’argon issu de la désintégration du potassium a bien été piégé.

La mesure est délicate car « le potassium est un élément très mobile, c’est-à-dire que si la roche reste à l’air libre, soumise aux intempéries et aux variations de température, il peut migrer au cours du temps et être éliminé de la roche. Les mesures n’auront alors pas de sens », précise Xavier Quidelleur.

 

Élucider un volcanisme d’origine controversée

Carte de l’archipel des Comores, réalisée avec GeoMapApp. © Quidelleur et al.

Peu étudiée par le passé, l’origine du volcanisme comorien est encore mal connue. Plusieurs hypothèses sont avancées, notamment celle du point chaud, c’est-à-dire la création d’une guirlande d’îles volcaniques liée au déplacement d’une plaque tectonique au-dessus d’un point chaud. « Cette hypothèse a été proposée car Grande Comore abrite un volcan actif, avec des reliefs très marqués, raconte Xavier Quidelleur. Tandis que Mayotte, à l'autre extrémité de l'archipel, présente une érosion très importante et un récif corallien typiques d'un volcanisme ancien. » 

À la suite de crises sismiques inquiétantes ressenties par les populations mahoraises en 2018, des campagnes océanographiques ont mis à jour un nouveau volcan sous-marin actif à l’est de Mayotte. Les activités volcaniques à chaque extrémité de l’archipel viennent ainsi contredire l’hypothèse d’un point chaud associé à un vieillissement « linéaire ».

Une autre hypothèse est celle d’un volcanisme « fissural », associé à la tectonique régionale du rift est-africain. Des fractures liées au mouvement des plaques seraient propices à l’insertion et au stockage de magma dans ces zones. « Cela expliquerait pourquoi on a un volcanisme qui ne montre pas un âge croissant au fur et à mesure qu’on s’éloigne du point chaud mais qui peut être à tout moment actif sur chacune des îles de l’archipel », admet Xavier Quidelleur.

 

Des recherches tout terrain

Coupe géologique montrant une coulée de lave récente sur des dépôts pyroclastiques
à Anjouan. © X. Quidelleur

Pour comprendre les relations entre volcanisme et géodynamique, l’équipe cherche dès 2019 à dater les épisodes volcaniques les plus récents de l’île centrale d’Anjouan, où aucune étude moderne n’a encore été menée. Ces épisodes sont généralement indiqués par la morphologie du paysage, par exemple des coulées de lave peu ou pas recouvertes par les sols et empruntant les vallées.

Elle prélève différents échantillons de coulées de lave, ainsi qu’un échantillon de charbon de bois pour une datation au 14C. « En milieu tropical, la végétation est très couvrante et il est généralement difficile d’avoir accès aux échantillons. On privilégie les sites dégagés : les plages, les bords de rivières ou de route », explique Xavier Quidelleur. Une approche qui favorise l’obtention d’une roche préservée des échanges d’éléments avec l’extérieur. 

 

La préparation des roches, une étape cruciale

Les 150 kg de roches ramenés de l’île d’Anjouan passent d’abord par une étape de préparation rigoureuse d’une semaine. « Notre étude se différencie en cela de la plupart des autres réalisées antérieurement, où les gens procédaient à des mesures sur "roche totale" : ils la broyaient et l’analysaient entièrement, sans trier les minéraux », commente Xavier Quidelleur.

Or les roches volcaniques sont susceptibles de contenir des phénocristaux. Ces minéraux visibles à l’œil nu, cristallisés dans la chambre magmatique en profondeur, peuvent incorporer de l’argon en excès qui ne provient pas de la décroissance radioactive du 40K depuis l’éruption et fausse les mesures de datation K-Ar. « On s’affranchit de ce problème en ne sélectionnant que la partie microlithique, c’est-à-dire uniquement des minéraux qui ont cristallisé pendant l’éruption. C’est la clé du succès. » Broyés, tamisés et filtrés, deux kilogrammes de roche ne fournissent alors plus qu’une quinzaine de grammes de matériel exploitable et analysable par le spectromètre.

 

Un volcanisme qui ne dort que d’un œil

Au final, les treize coulées de lave prélevées sont datées de moins d’un million d’années, dont cinq estimées à moins de 60 000 ans. Le charbon de bois daté au 14C a donné un âge d’environ 9 300 ans. Ces découvertes témoignent d’un volcanisme actif récent sur l’île d’Anjouan et impliquent que le système n'est pas éteint. « Cela ne veut pas dire que ce système va s'éveiller dans une semaine, on ne veut pas affoler les populations, nuance Xavier Quidelleur. Mais géologiquement parlant, il est certain que le volcanisme se réveillera. »

Par ailleurs, la distribution des âges suggère que l'activité volcanique de l’île au cours du dernier million d’années s’est produite de façon discontinue, sous forme de pulses, séparés par des intervalles de repos d'environ 200 000 ans. Une telle distribution corrobore l’hypothèse d’une activité de failles, liée à la tectonique.

« Ça ne reste qu'une hypothèse car cela peut aussi venir du fait qu'on n'a pas prélevé assez d'échantillons. Mais si cela correspond à des phases tectoniques, nous devons le vérifier à l'échelle de l'archipel. C'est pourquoi nous allons continuer à travailler sur l'île voisine de Mohéli et sur les édifices sous-marins », conclut l’enseignant-chercheur.

 

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