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ReticulOme : caractériser les circuits neuronaux pour agir en cas de contrôle moteur altéré

Recherche Article publié le 17 mai 2023 , mis à jour le 17 mai 2023

Le projet ReticulOme (Caractérisation multi-omique des circuits moteurs descendants dans le tronc cérébral) vise à mieux comprendre les bases neurales des mouvements, avec un accent mis sur les neurones réticulospinaux. À terme, il pourrait fournir une liste de types cellulaires pertinents dans des contextes post-traumatiques ou neurodégénératifs. Ce travail est porté par l'équipe Circuits neuronaux et contrôle moteur dirigée par Julien Bouvier, de l'Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI – Univ. Paris-Saclay, CNRS).

Le projet ReticulOme (Caractérisation multi-omique des circuits moteurs descendants dans le tronc cérébral) représente une nouvelle étape du parcours suivi par Julien Bouvier dans le domaine de la motricité. En 2010, celui qui est aujourd'hui directeur de recherche au CNRS soutient sa thèse sur la neurobiologie du système respiratoire chez le rongeur. Le chercheur en devenir s'y spécialise sur le cas du tronc cérébral. L’année suivante, il part en post-doctorat à l'Institut Karolinska de Stockholm, en Suède. Son travail porte alors sur une motricité élargie, en se focalisant sur le rôle de la moelle épinière puis du tronc cérébral dans le contrôle des membres pendant la marche chez la souris. Il obtient un poste au CNRS en 2015 et devient, en 2018, responsable de sa propre équipe de recherche au sein de NeuroPSI : Circuits neuronaux et contrôle moteur. En février 2023, son projet ReticulOme est lauréat d'une bourse Consolidator du Conseil européen de la recherche (ERC Consolidator Grant).

 

Une structure nerveuse descendante

L'exécution de mouvements coordonnés passe d'abord par des processus cérébraux complexes. « Ceux-ci impliquent systématiquement une zone du cerveau appelée formation réticulée. On la retrouve chez l'ensemble des espèces car elle est phylogénétiquement très ancienne. Elle sert de relais des signaux nerveux entre l'encéphale et la moelle épinière », résume Julien Bouvier. La formation réticulée se situe dans la partie la plus postérieure du cerveau, le tronc cérébral. Elle abrite notamment les neurones dits réticulospinaux, assemblés en réseau entremêlé dans le plancher du tronc cérébral. Ces neurones particuliers entrent en contact descendant direct avec la moelle épinière. Autant dire qu'ils sont absolument essentiels pour le contrôle moteur des membres et du tronc. « Lors d'un accident de la route, par exemple, la moelle épinière peut être rompue à la suite d'un trauma de la colonne vertébrale. Cette connectivité descendante formée par les neurones réticulospinaux est alors brisée, ce qui entraîne une perte de motricité qui peut aller jusqu'à l'incapacité totale de se tenir debout ou de marcher », explique Julien Bouvier.

 

La formation réticulée, une classification approximative

Dès les années 1950, de nombreuses études s'intéressent à la formation réticulée et au cas des neurones réticulospinaux. Mais les outils encore limités de l'époque n'offrent aux scientifiques qu'une vision très globale des processus mis en œuvre au sein de la structure nerveuse. Quand les appareils se modernisent, la formation réticulée passe malheureusement à la trappe au profit de structures impliquées dans des processus cognitifs, comme le cortex. La classification et la compréhension de la formation réticulée restent alors macroscopiques, et donc très approximatives. Ce que déplore Julien Bouvier : « Il ne s'agit vraisemblablement pas d'une entité unifiée mais bien d'un système complexe avec des fonctions distinctes. Il nous manque pourtant toujours une description détaillée de sa diversité à l'échelle cellulaire. »

 

La grande diversité des neurones réticulospinaux

Pourtant, des travaux récents ont mis en évidence l'existence de divers types de neurones réticulospinaux. Chacun semble servir au contrôle d'un unique groupe musculaire, afin d'effectuer un type de mouvement bien spécifique. « Ces cinq dernières années, certains de nos travaux ont consisté à isoler et caractériser le fonctionnement de l'une de ces populations cellulaires », indique Julien Bouvier. Pour ce faire, son équipe a utilisé des vecteurs moléculaires chez la souris, qui sert de modèle moteur pour l'humain. Elle a ensuite repéré des populations ciblées de neurones réticulospinaux en leur faisant exprimer une protéine fluorescente détectable par microscopie. Ces mêmes neurones ont aussi été activés ou inhibés grâce à des méthodes optogénétiques (associant les techniques de l'optique à celles de la génétique) pour étudier les effets sur l'animal. En simultané, les vecteurs moléculaires suivaient les connexions nerveuses en retraçant les liens entre les neurones.

 

De nouveaux critères de sélection des neurones réticulospinaux

« L'enjeu principal de la bourse de l'ERC est de nous offrir les moyens d'étudier et de cartographier l'ensemble des neurones réticulospinaux », insiste Julien Bouvier. Et au vu de la complexité inhérente à la formation réticulée, avec de nombreux types cellulaires entremêlés, l'équipe devra combiner plusieurs approches pour sa recherche : séquençage du transcriptome (l'ensemble des gènes exprimés par la cellule), étude du connectome (la cartographie des connexions), analyse de l'activité et de la fonction cellulaire (récapitulable par le « fonctionome ») … D'où le suffixe « Ome » dans le nom du projet ! Celui-ci ambitionne de catégoriser les neurones réticulospinaux selon de nouveaux critères : anatomiques (d'après leur position et leur connexion avec le reste du cerveau), fonctionnels (selon le type de mouvement qu'ils contrôlent) et génétiques (en fonction des gènes qu'ils expriment).

 

Cibler les circuits neuronaux prioritaires

« Le projet est d'abord fondamental. Il vise à comprendre l'organisation de cette structure cérébrale si importante. En revanche, il promet des applications concrètes à l'avenir », rappelle Julien Bouvier. L'objectif de ReticulOme est de déterminer les circuits neuronaux prioritaires en vue de thérapies de réhabilitation de la motricité, en fournissant des candidats spécialisés dans différents types de mouvements. Soit ceux qui favorisent la marche ou au contraire la limitent, ceux qui contrôlent la posture, ou encore ceux qui pilotent les mouvements du tronc cérébral ou des membres antérieurs... La compréhension du rôle joué par chaque population, ainsi que leur identification génétique serviront en effet de point de départ pour concevoir des thérapies plus ciblées en vue de forcer l'activation voire la repousse des neurones. Et ainsi contribuer, à terme, à restaurer une forme de motricité chez des personnes paralysées.

 

Des expertes et experts aux multiples bagages scientifiques

Pour mener à bien leur projet, Julien Bouvier et son équipe bénéficieront d'une somme de deux millions d'euros répartis sur cinq ans. « Nous recruterons ainsi deux à trois personnes supplémentaires, en particulier des post-doctorantes et post-doctorants déjà familiers dans ce domaine, qui nous permettront de développer les différents axes expérimentaux du projet. Nous enrichirons aussi notre expertise technique et analytique par le recrutement d’ingénieures et ingénieurs et de bio-informaticiennes et bio-informaticiens, ainsi que par l’acquisition d’équipements de pointe », prévoit le directeur de recherche. Ce dernier souhaite en profiter pour mettre en avant la porosité entre spécialités et donner leur place aux plus jeunes. « J'espère participer à la formation d'étudiantes et étudiants, et de post-doctorantes et post-doctorants sur le rôle crucial des neurones réticulospinaux dans le contrôle moteur. L'idée serait de créer, sur ce sujet encore trop peu étudié, une véritable filiation d'expertes et d’experts, chacune et chacun possédant son bagage scientifique propre », souligne Julien Bouvier. Quant au projet en lui-même, il devrait recevoir ses subventions d'ici le début de l'année 2024, pour débuter dans la foulée.

 

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