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Vincent Tatischeff : percer les secrets des rayonnements cosmiques

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 21 juillet 2022 , mis à jour le 29 juillet 2022

Spécialiste des phénomènes astrophysiques de haute énergie, Vincent Tatischeff est directeur de recherche au Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab – Université Paris-Saclay, Université Paris-Cité, CNRS). Il a été récompensé de la médaille d’argent du CNRS pour le caractère original et important des recherches qu’il mène. 

Après un diplôme d’ingénieur obtenu à l’Institut des sciences de la matière et du rayonnement (ex-ISMRA, désormais Ecole normale supérieure d’ingénieurs) de Caen et un diplôme d’études approfondies (DEA) en physique fondamentale et nucléaire de l’Université de Caen obtenus en 1993, Vincent Tatischeff poursuit ses études par une thèse sur les réactions nucléaires au cœur des étoiles au Centre de spectroscopie nucléaire et de spectroscopie de masse (ex-CSNSM, désormais IJCLab). « Le thème de mes recherches a été d’expliquer l’origine des éléments chimiques dans les étoiles », détaille Vincent Tatischeff. Suite à cette thèse, soutenue en 1996, le physicien est engagé par un contrat postdoctoral au centre de vol spatial Goddard (GSFC – Nasa), au sein d’une équipe de théoriciennes et théoriciens experts en modélisations astrophysiques pour rendre compte d’observations satellitaires.

 

Des séjours enrichissants à l’étranger

Suite à ce séjour aux Etats-Unis, Vincent Tatischeff devient chercheur au CNRS, avec un thème de recherches plus large : « au début, mes recherches étaient plutôt axées sur les réactions nucléaires spécifiques pour la synthèse des éléments dans les étoiles. Mais petit à petit, et notamment grâce à ce poste aux USA par lequel j’ai beaucoup appris, je me suis intéressé de manière générale aux phénomènes de haute énergie qui se produisent dans divers contextes astrophysiques, développe le chercheur. Quand des particules sont accélérées, à des vitesses très importantes, des collisions nucléaires apparaissent, certaines engendrant des rayonnements gamma de haute énergie ».  L’astronomie gamma devient, à partir de son entrée au CNRS, l’un des axes principaux de recherche de Vincent Tatischeff. Celle-ci est observable notamment grâce à l’International gamma-ray astrophysics laboratory (INTEGRAL) de l’European space agency (ESA, l’agence spatiale européenne). Vincent Tatischeff et son équipe avait d'ailleurs participé à l'étalonnage de ce satellite avant son lancement en 2002. « Le thème de recherche qui m’intéresse autour d’INTEGRAL, c’est principalement les rayons cosmiques. La question de l'origine de ces particules de haute énergie reste aujourd’hui très importante. Dans quels objets sont-elles accélérées ? Comment ces particules obtiennent-elles des vitesses relativistes ? Quels sont les effets de ces particules sur l’écosystème galactique et les différentes composantes de notre galaxie ? Comment ces nouvelles particules régulent, par exemple, la formation de nouvelles étoiles, s’interroge Vincent Tatischeff. Tout cela fait intervenir des phénomènes de haute énergie ». 

En 2007, grâce à une mise à disposition du CNRS, Vincent Tatischeff part à la découverte de Barcelone et de l’Institut d’études spatiales de Catalogne. « C’est une période que j’ai trouvé enrichissante. J’ai eu l’occasion d’étudier de nouveaux objets susceptibles d’accélérer des particules, notamment les novæ, un type d’étoile connaissant des explosions récurrentes et gigantesques sans que celles-ci ne provoquent leur destruction, contrairement aux supernovæ », se remémore le physicien. « À l’époque, on avait prédit la présence de particules accélérées jusqu’à de très hautes énergies, après l’explosion d’une nova qu’on étudiait, sans pouvoir vérifier nos dires. En 2021, cette même nova a explosé de nouveau, et grâce à des instruments d’observation gamma à haute énergie, notre prédiction a été confirmée. C’est une certaine satisfaction que la science ait pu prédire un tel phénomène ! » se réjouit Vincent Tatischeff.

 

Une carrière scientifique rythmée par de multiples projets

Cette année à Barcelone marque un réel tournant dans la carrière du physicien. A son retour en France, Vincent Tatischeff, alors membre de l’équipe Astrophysique nucléaire du CSNSM, lance un programme instrumental, dans le but de concevoir un nouvel observatoire spatial de rayons gamma, et ainsi succéder à INTEGRAL. En 2012, le programme obtient un financement via le label Laboratoire d’excellence (LabEx). Aujourd’hui, trois projets coexistent à l’intérieur de ce programme. Tout d’abord, depuis 2016 et un appel d’offres de l’ESA, le projet principal de nouveau satellite est officiellement sur les rails. Comme toute ambition spatiale de cette envergure, les délais d’aboutissement d’un tel projet sont immenses. « Par exemple, si notre projet est accepté (sachant que la compétition est rude), le lancement du satellite s’effectuerait en 2037. De tels travaux peuvent donc occuper une partie importante d’une carrière scientifique », précise l’astrophysicien.

Ensuite vient le projet COMCUBE, qui consiste à la réalisation de satellites miniatures (de quelques dizaines de centimètres) pour les placer ensuite en orbite terrestre et ainsi surveiller en permanence les rayons gamma présents dans le ciel. « Nous proposons une mesure novatrice qui est celle de la polarisation des photons gamma, développe Vincent Tatischeff. Avec COMCUBE, nous serions capables non seulement d’observer d’où viennent ces photons et quelles sont leurs énergies, mais également leur état de polarisation : l’orientation privilégiée du champ électrique qui est associée à chacun des photons. En mesurant cette polarisation de sources lointaines, tout en réussissant à contraindre les changements de polarisation des photons gamma au cours de leur propagation, cela pourrait nous informer sur les phénomènes à l’origine de l’émission de ces photons. Des aspects liés à la gravitation quantique pourraient aussi être étudiés, comme la description de l’espace-temps de manière quantique. On s’attend à ce que dans certains modèles, la polarisation des photons change dans le vide, ceci est lié à la structure même de l’espace-temps ». 

Enfin, Vincent Tatischeff participe également au développement de ComptonCAM, un instrument qui se révèle d’un intérêt majeur pour l’industrie du nucléaire. « Nous sommes en mesure de concevoir une gamma-caméra portable, capable de trouver des traces de radioactivité dans les installations nucléaires, et servir soit aux entreprises de maintenance ou de démantèlement liées au secteur des centrales nucléaires. Le but de ComptonCAM est de créer un objet que l’on pose dans une pièce, pour que celui-ci analyse l’environnement en rayons gamma, et détecte des éventuelles sources de radioactivité », détaille le chercheur. Depuis 2017, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) finance le projet ComptonCAM. « Voilà un exemple de travaux théoriques et astrophysiques qui, finalement, trouvent une tout autre valorisation ! » se réjouit Vincent Tatischeff.

Malgré la gestion très « concrète » de ces projets, Vincent Tatischeff ne souhaite pas pour autant s’éloigner de sa passion primaire : la physique théorique. « En parallèle, j'aimerais beaucoup réussir à travailler sur des sujets plus théoriques, comme je le faisais au début des années 2000. Je continue à le faire, notamment sur l'origine des rayons cosmiques avec un post-doctorant. C'est une science un peu plus imaginative, de mon point de vue ».